LA GROTTE DU CHAT :
UNE CAVITÉ EXCEPTIONNELLE QUI INTÉRESSE LES SCIENTIFIQUES DU MONDE ENTIER
Connue depuis la nuit des temps, la grotte du Chat se situe à quelques kilomètres du village, à 940 mètres d’altitude, en rive gauche du vallon du Riou et une centaine de mètres en contre-haut.
On lit souvent que son nom viendrait du fait que son entrée aurait eu, dans le passé, la forme d’une tête de chat : il est difficile de savoir d’où vient cette explication, mais force est de constater qu’il est tout aussi difficile de voir une tête de chat dans l’entrée de la cavité… Il est sans doute plus probable que son nom serait une déformation d’un toponyme ancien, en langue provençale, qui pourrait être « Rocca traoucat », la roche trouée. Il en faut peu, surtout pour un cartographe fonctionnaire des administrations centrales comme l’État en a envoyé au XIXe siècle en légions cartographier nos campagnes lointaines, pour transformer ce nom en « Rocca daou cat », la roche du chat. Et de là, la grotte du Chat… Ce genre d’erreur sur les transcriptions des noms vernaculaires est très courant et émaille nos cartes géographiques actuelles.
Sa galerie d’entrée traverse une zone de blocs effondrés assez chaotique, qui amène à un ressaut de quelques mètres dominant une belle galerie rectiligne au sol plat. Ce conduit mène à une vaste salle assez complexe d’où partent de multiples boyaux plus ou moins étroits formant un véritable labyrinthe où il est assez facile de s’égarer. De cet enchevêtrement sortent, vers le nord, deux galeries assez longues, plus ou moins parallèles, dont la plus importante (et la moins étroite) s’appelle galerie Victor de Cessole. Il existe un moyen de passer d’une galerie à l’autre via un petit réseau supérieur, accessible par une escalade peu évidente et une étroiture assez sévère.
L’ensemble de ces conduits atteint une longueur cumulée de près d’un kilomètre, mais il n’est jamais évident de mesurer la longueur d’un labyrinthe… Les galeries sont joliment concrétionnées, et elles sont quasiment sèches en dehors de quelques courts bassins dans lesquels il est difficile de ne pas se mouiller lorsqu’on explore le petit réseau nord. C’est donc une grotte assez facile dans l’ensemble, mais dont l’intérêt majeur n’est pas réellement spéléologique ni esthétique, mais géologique et scientifique.
En effet, il y a très peu de grottes dans ce massif de montagnes, et la raison principale c’est qu’il y a relativement peu de calcaire. On a considéré depuis la fin du XIXe siècle que les grottes et les gouffres se creusent dans les calcaires purs par action des eaux de pluies, rendues légèrement acides en captant le gaz carbonique de l’atmosphère, et qui s’infiltrent dans les fissures par gravité. Or, dans notre terroir, on voit très peu de calcaires purs, et beaucoup de marnes ou de marno-calcaires qui sont considérés comme impropres au creusement de grottes. Si, dans ce contexte peu favorable à la formation des grottes, on en trouve tout de même une, et relativement importante, on peut s’attendre à ce qu’elle ne soit pas tout à fait comme les autres…
Et en effet, la grotte du Chat est exceptionnelle dans la manière dont elle s’est formée, non pas par l’action du gaz carbonique comme la quasi-totalité des autres mais par celle d’un acide autrement plus violent : l’acide sulfurique. Ce mode de creusement était quasiment inconnu jusque dans les années 1980 où un chercheur américain l’a mis en évidence dans une grotte du Wyoming. Il a été par la suite reconnu dans quelques grottes du Nouveau-Mexique, puis dans une grotte en Italie et une autre en Autriche ; mais quasiment rien en France… Jusqu’en 2005 où trois spéléologues et géomorphologues français se penchent sur le cas de notre grotte du Chat. En deux ans d’étude de la cavité, ils en déterminent le mode de formation presque inconnu à l’époque, et publient leurs travaux dans des revues scientifiques internationales, ce qui a soulevé l’intérêt de spécialistes du monde entier.
Depuis, le creusement de grottes par l’action de l’acide sulfurique a été très étudié et bien mieux documenté ; d’autres exemples ont été découverts de par le monde : ainsi, par exemple, nos trois chercheurs ont identifié en Sicile une sœur jumelle de notre grotte du Chat : la grotte d’Acqua Fitusa (« grotte de l’eau malodorante » en français), formée de la même manière et qui, de ce fait, présente d’incroyables ressemblances morphologiques.
LA GROTTE DU CHAT : UNE EXCEPTION GÉOLOGIQUE
La grotte du Chat s’ouvre dans la partie sommitale d’une barre de calcaire d’âge Barrémien (environ 125 millions d’années), de quelques dizaines de mètres d’épaisseur, que les bouleversements liés à la surrection des Alpes ont redressé quasiment à la verticale. De ce fait, elle est flanquée des deux côtés par des marnes néocomiennes et cénomaniennes, et ça ne laisse pas beaucoup de surface pour infiltrer de l’eau de pluie dans le calcaire, pas suffisamment en tout cas pour creuser des galeries qui atteignent par endroits plusieurs mètres de diamètre… En fait, pour voir l’eau qui a creusé la grotte, il faut aller à la base de la barre de calcaire, dans le lit même du Riou, où jaillit une source très spéciale : les 5 à 10 litres d’eau assez chaude (16°C) qu’elle émet chaque seconde dans le lit du torrent émettent une odeur puissante et caractéristique d’œuf pourri ! C’est une source sulfureuse, dont l’eau est chargée d’hydrogène sulfuré.
Pourquoi cette eau est-elle anormalement chaude ? Parce que plus on s’enfonce profondément dans le sol et plus la température augmente : l’eau de la source remonte de zones assez profondes, probablement 200 ou 300 mètres sous la surface du sol et le niveau du vallon.
Pourquoi est-elle chargée d’hydrogène sulfuré ? Parce qu’en profondeur, elle traverse des masses de ce gypse du Trias si abondant autour de Daluis. Les gypses du Trias sont connus pour renfermer des niveaux d’un charbon incomplètement transformé, la lignite. Dans ces zones profondes, des bactéries spécifiques, pour se développer et prospérer, récupèrent dans la lignite le carbone et dans le gypse (sulfate de calcium) l’oxygène et l’hydrogène dont elles ont besoin pour fabriquer de la matière vivante, puis rejettent le soufre inutile sous forme d’hydrogène sulfuré. C’est le début du cycle.
Philippe Audra mesure la température et la conductibilité de l’eau.
Sandro Galdenzi, spécialiste des grottes sulfureuses de Frassassi en Italie, prélève de l’eau aux fins d’analyse.
Lorsque le Riou n’avait pas encore autant incisé sa vallée et coulait 90 mètres plus haut, la source sulfureuse sortait à l’altitude de la grotte. Comme aujourd’hui, elle remontait des zones profondes par des fissures et des fractures dans la masse de calcaire barrémien : ces fissures se voient parfaitement au sol sur une grande partie de la galerie de Cessole et dans la salle principale de la grotte où, même si elles sont assez larges pour qu’on les voie jusqu’a 5 ou 6 mètres de profondeur, elles sont impénétrables. Là, au niveau de la surface libre de l’eau qui s’écoulait dans les fissures vers le vallon, l’hydrogène sulfuré rencontrait l’oxygène de l’air : c’est la deuxième phase du cycle. En effet, lorsque l’hydrogène sulfuré se combine avec de l’oxygène, la réaction fabrique… De l’acide sulfurique !
Cet acide sulfurique, mis en contact avec le rocher calcaire, l’attaque violemment et le corrode, en le transformant… En gypse, à nouveau. Gypse dont on sait qu’il est très soluble, et donc facilement évacué par l’eau de la source. C’est la troisième phase du cycle.
La quatrième phase du cycle est relativement récente (pour le géologue) : en quelques centaines de milliers d’années, le Riou a continué à creuser son vallon et aujourd’hui la source a trouvé plus bas un autre chemin pour surgir à l’air libre. Elle a donc abandonné la grotte, qui est aujourd’hui sèche… Et respirable ! Mais dans la lame de calcaire barrémien, l’eau sulfureuse remonte toujours des profondeurs, et qui sait si en ce moment même, derrière le cours tranquille du Riou, loin de nos regards, dans le secret du rocher, une autre grotte du Chat n’est pas en train de naitre par la magie du mariage de l’oxygène et de l’eau sulfureuse ?
La grotte avait déjà été dans le passé fermée par arrêté préfectoral en raison de dégradations diverses dont elle avait malheureusement été l’objet ; elle est actuellement fermée aux visites touristiques en raison de programmes de recherches sur les populations de chauve-souris dans le périmètre Natura 2000, et de mesures de protection de ces animaux. Préserver un site d’un intérêt scientifique remarquable demande d’en faire une gestion raisonnée, et la commune de Daluis reçoit en même temps un héritage géologique exceptionnel et la responsabilité de le transmettre en parfait état aux générations futures.
Jean-Claude Nobécourt