L’histoire géologique du terroir de Daluis commence il y a fort longtemps, à la fin de l’ère primaire (que les géologues appellent aujourd’hui le Paléozoïque). La Terre ne ressemblait alors pas du tout à celle que nous connaissons aujourd’hui : pas d’océan Atlantique, pas d’océan Indien, pas de Méditerranée, pas d’Alpes, et aucun des continents que nous connaissons actuellement. Les terres émergées constituaient alors un énorme super-continent, la Pangée.
Il y a 300 millions d’années donc, au Permien, sur le territoire correspondant au terroir de Daluis s’étendait une vaste étendue semi-désertique couverte d’argiles rouges, qui ressemblait sensiblement à l’actuelle Afrique de l’ouest avec ses savanes de latérites. Ces vastes plaines connaissaient des périodes de pluie du type « mousson », au cours de laquelle des étendues d’eau temporaires se formaient. Ces anciennes argiles, compactées par des dizaines de millions d’années d’ensevelissement sous des centaines de mètres de sédiments, ont été dégagées lorsque les plissements des Alpes ont porté en altitude les roches anciennes du « socle » : ce sont ces superbes pélites rouges que traversent aujourd’hui les gorges de Daluis, qu’Édouard-Alfred Martel appelait au début du XXe siècle le Colorado niçois. L’œil exercé du promeneur curieux peut facilement y observer ça et là, sur des surfaces dégagées par l’érosion, les traces fossilisées des anciennes moussons de l’ère primaire : les craquelures qui apparaissent sur la boue lorsqu’elle sèche (les géologues les appellent des « mudcracks »),.ou bien parfois des vaguelettes semblables à celles que laisse la marée descendante sur les plages de sable (les géologues les appellent des « ripple marks »).
À la fin du Permien, il y a 250 millions d’années, une grande faille coupe la Pangée en deux et la sépare en deux super-continents, le Gondwana et la Laurasie, qui s’écartent progressivement l’un de l’autre et continueront plus tard à se morceler pour donner ceux que nous connaissons aujourd’hui ; mais dans cette fracture profonde qui s’élargit (ce que les géologues appellent un rift), naturellement, un océan va apparaitre, s’installer et grandir : ce sera la grande mer du Secondaire, qui persistera 200 millions d’années et au fond de laquelle se déposeront la plupart des calcaires de Provence. Mais au début, pendant quelques dizaines de millions d’années, cet océan juvénile n’est qu’une mer peu étendue et très peu profonde, qui, au gré des variations climatiques, va s’évaporer plus ou moins puis se réennoyer. Daluis se trouve dans cet ancien rift, et dans le paysage cette période, qui s’appelle le Trias et débute l’ère secondaire (que les géologues préfèrent aujourd’hui appeler le Mésozoïque), est marquée par deux types de roches :
– Bien visible, posée juste au-dessus des pélites rouges, une couche de dix à vingt mètres d’épaisseur d’un conglomérat très clair, presque blanc, de petits galets roulés et de graviers cimenté, que les géologues appellent les quartzites werféniennes et qui marquent l’arrivée de la mer ;
– Et puis, par endroits, des pointements d’une roche très particulière, que les géologues appellent des évaporites, et qui, comme son nom l’indique, se forme dans des bassins marins peu profonds soumis à une évaporation intense (par exemple fans l’actuelle mer Morte).
Il faut dire quelques mots de ces évaporites, importantes dans la géologie du territoire de Daluis.
Les évaporites sont composées de deux minéraux principaux :
– Le sel, naturellement : c’est ce qui est le plus présent dans l’eau de mer, et paradoxalement le moins dans les évaporites. On ne le trouve réellement, sous forme de sel gemme, qu’à grande profondeur dans le sol, là où il est préservé des circulations d’eau ; mais lorsque les évaporites sont proches de la surface du sol, comme le sel est extrêmement soluble, les infiltrations et les circulations d’eau ne tardent pas à l’évacuer. Oh, il en reste toujours un peu, et dans ce type de terrain les sources sont souvent salées… C’est même ce qui a donné le nom, à Daluis, au quartier de la Salette où se trouve la mairie ; c’est aussi ce qui a donné le nom du village voisin de Sausses ; d’ailleurs, sur la commune de Castellet juste en aval de Sausses, une source salée faisait même l’objet, dans le passé, d’un petit commerce : l’eau salée était concentrée par évaporation, et la saumure était vendue au litre pour les besoins de l’alimentation…
– Il y a aussi le gypse, beaucoup moins soluble que le sel et qui résiste mieux que lui au lessivage. Beaucoup moins soluble que le sel, mais beaucoup plus soluble que les autres roches : un mètre cube d’eau peut dissoudre plus de deux kilos de gypse…
Pour un terroir, le gypse a toujours représenté un petit inconvénient mais aussi une grande richesse ; petit inconvénient, car le gypse est une roche relativement fragile : comme il est très soluble, un écoulement d’eau mal maîtrisé ne tarde pas à y creuser un trou, qui peut devenir très important et, si les précautions adéquates ne sont pas prises, amener un risque sur le bâti ou pour le bétail. Dans le passé, ce genre de phénomène a plusieurs fois été traité sur le territoire de la commune, aux abords des réservoirs d’eau en particulier. Mais le gypse est aussi une richesse, car il suffit de le chauffer à 130°C pour le transformer en plâtre, et on voit encore dans les alentours du village les anciens fours où l’on fabriquait, à partir du gypse local, un plâtre de bonne qualité.
Four à chaux en excellent état, le long de la RD 2202
Ainsi, le village de Daluis coiffe un piton qui est pratiquement composé de gypse. Aux yeux du géologue, cette masse de gypse se trouve même en fait protégée de l’érosion par le village qui le coiffe… On observe facilement ce gypse, très blanc, qui a un peu l’aspect du sucre cristallisé (« gypse saccharoîde ») à la base de la colline, au croisement entre la D96 et de la D2202. Ce pointement de gypse est appelé par les géologues un « diapir » : le gypse étant une roche relativement « souple » et légère, il a tendance, lorsqu’il se retrouve comprimé par les mouvements géologiques, à être extrudé en surface comme une pâte dentifrice. On voit très bien au croisement de la D96 et de la D2202 que le gypse blanc a été pressé et expulsé, mélangé à des lambeaux d’argiles permiennes rouges arrachées aux couches sous-jacentes..
Ce diapir transperce donc des couches géologiques plus récentes, qui marquent la présence de la grande mer du secondaire, la Thétys, pendant pratiquement 150 millions d’années. Ces terrains sédimentaires, calcaires et souvent marneux, ont été considérablement fragmentés, basculés et bouleversés par la surrection des Alpes, dont le paroxysme s’est déroulé ces dix derniers millions d’années. Récemment pour le géologue…
Le terroir de Daluis présente donc les roches parmi les plus anciennes des Alpes-Maritimes (il y en a tout de même de plus vieilles au cœur du Mercantour) ; du fait de cette histoire géologique très longue et assez complexe, ce territoire offre une grande originalité et une grande diversité de paysages, des roches rouges permiennes des gorges du Var aux marnes grises et noires du Crétacé dans le vallon du Riou, en passant par le gypse blanc éclatant du Trias… Un patrimoine naturel et paysager qui a valu à la commune son intégration dans un classement Natura 2000.
Jean-Claude Nobécourt